- CLASSIQUE (MUSIQUE DITE)
- CLASSIQUE (MUSIQUE DITE)CLASSIQUE MUSIQUE DITEL’expression «musique classique» recouvre, selon les cas, des réalités fort diverses. La musique «classique» peut s’opposer à la musique dite populaire, légère ou de variété, et comprend alors toute la musique savante (ou sérieuse) européenne, des prédécesseurs de Pérotin aux successeurs de Pierre Boulez. On peut distinguer dans ce contexte de musique «sérieuse», la musique classique et la musique moderne ou contemporaine, et faire commencer celle-ci avec Debussy par exemple, ou encore avec la génération qui eut vingt ans en 1945. Mais on appelle «classique contemporain» une personnalité ou une œuvre dont la situation et le rang ne sont plus contestés par les spécialistes, ni même parfois par le grand public, et qui ont pris valeur d’exemple: ainsi aujourd’hui Pierre Boulez (né en 1925) et son Marteau sans maître (1955). Dans le même ordre d’idées ou presque, on considère Schubert comme le représentant «classique» du lied allemand, Liszt comme celui du poème symphonique: ils furent les premiers à donner de ces genres respectifs et dans un contexte historique et esthétique précis une expression convaincante et durable. L’objet classique est en effet nécessairement convaincant, exemplaire et durable. Mais Schubert et Liszt relèvent de ce qu’on appelle traditionnellement le romantisme musical, dont les produits ne le sont pas moins. Et de fait, on oppose aussi musique classique à musique romantique, musique baroque, musique de la Renaissance, musique médiévale.En ce dernier sens, comme d’ailleurs en littérature, le terme est d’invention assez récente (début du XIXe s.), et chronologiquement postérieur à celui de musique romantique (celui-ci ayant suscité celui-là). À noter en premier lieu que (pour ne prendre que deux exemples) le classicisme versaillais de Lalande ou de Rameau et le classicisme viennois de Haydn, de Mozart et de Beethoven ne se confondent ni esthétiquement ni dans le temps. À noter surtout qu’en tant que concepts stylistiques classicisme (issu des grands Viennois) et romantisme ne font largement qu’un. En musique, il y eut une période classico-romantique, instrumentale, dramatique et tonale, correspondant en gros à la suprématie germanique (1760-1910). Pourtant, à partir de Goethe, l’opposition classicisme-romantisme agita beaucoup les esprits. Les successeurs immédiats de Goethe (et déjà certains de ses familiers comme Zelter) se préoccupèrent surtout de défendre un programme: d’où les premières accusations de sécheresse, de pédantisme et de formalisme lancées contre le classicisme, ce qui est aussi absurde que de le définir tout simplement, même en prônant ces vertus, par la rigueur formelle et l’absence d’émotions indues. Goethe lui-même, plus soucieux de pondération, alla sans doute au cœur du problème dans sa lettre à Eckermann du 12 janvier 1827: «Technique et mécanisme poussés à l’extrême [conduisent les compositeurs à un point où] leurs œuvres cessent d’être de la musique et n’ont plus rien à voir avec les sentiments humains; confronté à elles, on ne peut rien apporter qui vienne de son propre esprit ou de son propre cœur.» Pour Goethe, n’est plus musique «celle qui par sa puissance despotique paralyse l’auditeur et le prive de son pouvoir d’imagination. C’est précisément l’équilibre des fonctions de l’artiste et de l’auditeur qui caractérise l’attitude classique» (Friedrich Blume).Le classique par excellence, de ce point de vue en tout cas, serait alors Haydn, y compris par rapport à Mozart et à Beethoven, ses frères en «classicisme viennois». Pour E. T. A. Hoffmann, ces trois compositeurs étaient typiquement romantiques, mais la trilogie qu’ils forment fut reconnue en tant que telle, et pas seulement par Hoffmann, du vivant même de Beethoven (dès 1824, les musiciens et mélomanes parlaient déjà de «la sainte Triade»). Or, dans sa dernière acception, musique classique se réduit à classicisme viennois. Qu’on le veuille ou non, qu’ils l’aient admis ou non, des générations de compositeurs ont, d’une façon ou d’une autre, mesuré leur musique à l’aune de celle de Haydn, de Mozart et de Beethoven. Ces trois maîtres, en outre, par-delà tout ce qui les distingue, se définissent sur le plan du langage par des traits fondamentaux qu’ils ne partagent tous ni avec leurs prédécesseurs, ni avec leurs successeurs, ni avec leurs contemporains de seconde zone: style dramatique fondé sur la tonalité, avec polarisation tonique-dominante nettement affirmée et exploration totale du tempérament égal en matière de modulations, avec comme moteur principal l’action, le besoin de souligner les contrastes mais aussi de les réconcilier en une démarche transformant en unité l’opposition. À ces deux raisons s’en ajoute une troisième, la plus importante sans doute pour notre problème de dénomination, bien qu’elle découle directement de la précédente: les œuvres de Haydn, de Mozart et de Beethoven sont historiquement les premières qui n’eurent jamais besoin d’être redécouvertes, qui restèrent vivantes au plus profond du corps social, de leur époque à la nôtre.
Encyclopédie Universelle. 2012.